Blason des rois de France
Château Gaillard site des Andelys
27 700 département de l'Eure, Normandie
Près d'Andelys à huit lieues de Rouen, sur la rive droite de la Seine, s'élevait la forteresse de Château Gaillard, Richard en avait fait la clé de la Normandie. Bien qu'elle fût déjà presque inexpugnable par sa situation sur un rocher escarpé, il l'avait entourée d'une triple muraille munie de tours très fortes et très élevées. La maçonnerie avait été faite avec le plus grand soin et on y avait employé des pierres si dures que la construction a résisté à l'action du temps. On en voit encore une partie de nos jours. Rien, en un mot, n'avait été négligé pour rendre formidable cette forteresse à laquelle Richard, lui même, avait donné le nom de Château Gaillard, comme pouvant défier toutes les attaques des ennemis.
Philippe résolut de s'en emparer, mais pour ne pas être troublé dans les opérations du siége, il commença à s'attaquer aux petites forteresses qui s appuyaient sur Château Gaillard, qui servaient de complément à sa défense. Il prit successivement Gournay, le Vaudreuil, et Radepont. Le siége de cette dernière forteresse lui présenta des difficultés sérieuses, la forteresse de Radepont, comme on peut le reconnaître encore aujourd'hui, était placée à l extrémité d'un plateau escarpé défendu de trois côtés par de profondes vallées. Elle n'était donc accessible que par un des côtés du plateau, mais là, de redoutables moyens de défense avaient été accumulés ;
- on y avait creusé un large et profond fossé qui était protégé par un donjon descendant jusqu'au fond de la tranchée et relié à la forteresse par un étroit passage.
- Aux deux extrémités se trouvaient deux tours dites Tour Richard Cœur de Lion et Tour Jean sans Terre.
Philippe établit son camp devant la porte d'entrée qui ouvrait sur le fossé même à laquelle on accédait par un pont levis qu'on avait eu soin d'enlever. Le roi fit tenter l' escalade de la porte, mais cette attaque avait été prévue et les assaillants furent vigoureusement repoussés. Il fallut de toute nécessité recourir à l art des ingénieurs, un pont fut jeté sur le fossé, la muraille fut entamée à coups de bélier, et la forteresse fut prise, non sans une vive résistance, après avoir tenu en échec pendant trois semaines les forces de la France. Le roi trouva dans la forteresse et fit prisonniers vingt chevaliers, cent soldats et trente arbalétriers glorieux. Il fit inhumer, dans le fort même, et avec de grands honneurs, tous les officiers et soldats morts pendant le siége.
Il alla ensuite assiéger Château Gaillard, cette redoutable forteresse dominait la Seine, elle servait de principale défense à la ville appelée aujourd'hui le Petit Andelys, qui, elle même était entourée de fortifications. Pour défendre les abords de la place du côté de la Seine, les assiégés avaient construit au dessous de ses remparts une triple digue faite de pieux carrés de bois, de chênes, qui se prolongeait dans la Seine jusqu à la rive opposée.
Cette digue, qui interceptait la navigation et les bâteaux de Philippe, ne pouvaient plus apporter à son armée, qui occupait alors les deux rives vis à vis de Château Gaillard, les vivres et autres provisions nécessaires à ses besoins. Il fallut que des hommes dévoués allassent couper des pieux avec des haches et renverser la digue en s'exposant aux coups de la garnison, qui les accablaient de dards de pierres et de toute sorte de projectiles. Alors les bateaux purent venir se placer en face de la ville et du château. Le roi ordonna qu'ils fussent serrés l'un contre l'autre, ensuite il les fit couler à fond un peu au dessous des remparts du château en les arrêtant à l aide de pieux enfoncés dans la rivière. Il réussit de cette manière à faire un pont qui établissait une communication facile entre les deux rives.
Ce pont lui fut, dans la suite, d'un puissant secours. Tout étant ainsi préparé, il commença son attaque par la ville des Andelys dont il parvint à s'emparer, après une forte résistance.
Cette ville ne fut pas plus tôt en sa possession, qu il tourna tous ses efforts contre Château Gaillard. Il fit construire des tours de nouvelles, ma chines de guerre, réunit tous les moyens alors en usage pour l'attaque des places et grâce aux talents et à l'activité de ses ingénieurs, il put serrer de plus près la célèbre forteresse avec quelque espoir de s'en rendre maître. Jusqu'alors le roi Jean n'avait tenté aucun effort sérieux pour entraver les opérations de Philippe, mais, voyant les succès du roi de France et l'imminence du danger que courait Château Gaillard, il prépara contre le camp de Philippe une double attaque assez bien combinée.
Elle devait être faite simultanément du côté de la terre par Guillaume de Glocester, son maréchal, et du côté de la rivière par le pirate Alain Le Breton, auquel le roi, Jean, avait donné l'ordre de remonter la Seine avec soixante six navires pour faire diversion.
De Glocester marcha toute la nuit, il arriva devant le camp aux premiers rayons du jour. Il s'élança aussitôt sur les soldats de Philippe qu'il surprit à moitié endormis et en fit un grand carnage. Heureusement, le brave Guillaume des Barres, Benaud comte de Boulogne et plusieurs chevaliers, étant parvenus à réunir autour de leur petite troupe un certain nombre d'hommes résolus, purent résister aux assaillants. Les attaquer à leur tour, les mettre en déroute, et forcer leur chef à se retirer après avoir perdu un grand nombre des siens.
De Glocester, qui avait vainement compté sur Alain Le Breton, était à peine hors de vue que la flotte, qui avait été retardée par les sinuosités de la Seine, parut devant le camp. Ce fut un nouveau combat à livrer. L'attaque d'Alain, qui avait eu le tort d'arriver trop tard, fut repoussée avec plus de vigueur plus encore que celle du maréchal. Les pirates furent poursuivis par trois habiles marins français ; Galbert surnommé le Barbu, Thomas le Pourfendeur et Jean Lenoir qui, s'étant jetés dans des bateaux rassemblés à la hâte, leurs firent éprouver de grandes pertes et parvinrent même à s'emparer de deux de leurs bateaux.
Depuis ce moment, et jusqu' à la fin du siège, Philippe n'eut à redouter aucune attaque du côté de la Seine. En revenant de la poursuite des pirates, Galbert le Barbu rendit au roi Philippe un service non moins important.
Pour défendre les approches de Château Gaillard, les Anglais, outre la digue dont nous venons de parler, avaient environnés ses murailles d'une double enceinte de palissades construites en bois de chêne et qui arrivaient jusqu'à la Seine. Une nuit Galbert plongea dans le fleuve, aborda aux palissades et y mit le feu après les avoir frottées de bitume. La flamme, à laquelle un fort vent d'Est donnait une grande activité, s éleva bientôt dans les airs en tourbillons chargés d'étincelles, se répandit dans l'enceinte et dévora les tours ainsi que les machines que les Anglais avaient préparées pour la défense du Château.
Château Gaillard ne fut plus protégé que par ses murailles, mais elles étaient si fortes que les efforts persévérants de Philippe et de ses ingénieurs n'avaient encore pu les entamer. Cependant l'armée était depuis six mois devant Château Gaillard, l'automne approchait, les barons voulaient selon les habitudes de l'époque, rentrer dans leurs manoirs pour y passer la saison d hiver. Ils étaient dans leur droit.
En effet, le ban qui était la convocation des nobles pour le service militaire, ne durait alors que quarante jours, non compris le temps de l'aller et du retour. Comme le seigneur était obligé de nourrir et d'entretenir ses hommes d'armes à ses frais, il avait bien soin de ne pas prolonger son temps de service, surtout en hiver, où il était plus difficile de se procurer des vivres.
Philippe se vit sur le point d'être abandonné par ses barons, il se serait alors trouvé réduit aux troupes mercenaires. Bien qu'elles se battissent résolument, elles ne pouvaient seules faire face à tous les accidents d'un siège aussi long et aussi difficile.
Le roi de France n'épargna aucun sacrifice pour conduire l'entreprise à bonne fin, il redoubla d'activité et d'énergie. Il parvint à retenir les nobles sous ses drapeaux en leur donnant de nouveaux fiefs, et leur prodiguant l'argent de son trésor. Il s'assura de la fidélité de ses mercenaires en augmentant leurs soldes, et il fit construire devant Château Gaillard un camp entouré de murailles et de tours, annonçant ainsi son intention d'y passer l'hiver avec son armée.
Château Gaillard avait pour gouverneur Roger de Lasci, vieux et brave chevalier. Lors de l'invasion du roi Philippe, en Normandie, Roger de Lasci croyant que ce ne serait qu'une attaque passagère, avait permis à un grand nombre de bourgeois de venir se réfugier à Château Gaillard. Mais le siège se prolongeant outre mesure et les vivres commençant à manquer, le gouverneur se vit dans la pénible nécessité d expulser du château un millier de ses habitants et le choix tomba sur les hommes invalides, sur les femmes et sur les enfants. De son côté, Philippe, qui comptait sur la présence de toutes ces bouches inutiles pour affamer la garnison, les fit repousser dans le château à coups d arbalète. Le gouverneur leur ferma impitoyablement la porte.
Alors ces malheureux furent obligés de rester sur les glacis ou dans les rochers qui bordaient la Seine, et la plupart y moururent de faim.
Philippe ne put résister au spectacle de tant de misère, et par ses ordres, ceux qui survécurent purent gagner les villes voisines. L'hiver était passé et la garnison ne parlait point de se rendre, les travaux du siège furent repris avec une nouvelle vigueur. Les tours furent approchées. Les archers firent pleuvoir une grêle de traits, les catapultes, les mangonneaux, les pierriers lancèrent d immenses blocs de pierre, mais tous ces efforts vinrent expirer contre les murs de la forteresse. Un seul moyen restait c'était l'escalade. Cadoc, chef des routiers, résolut de la tenter ; il prit avec lui trois cents hommes légers et courageux qui s'étaient munis d'échelles et de cordes. Dès que la nuit fut arrivée, ils plantèrent les échelles au pied de la roche, qui était baignée par la Seine, et portait une des tours. Les échelles se trouvant trop courtes, ils creusèrent dans le roc avec leurs poignards des trous suffisants, plaçaient leurs pieds, et parvinrent ainsi, après des efforts inouïs, et en tendant la main à ceux les suivaient, à atteindre le sommet du rocher, la première enceinte de la forteresse. Le bruit qu'ils faisaient en montant et creusant dans le rocher, avait été entendu de la garnison, des hommes accoururent. Alors un combat eut lieu dans l'étroite enceinte où ils étaient parvenus, les soldats de Cadoc ne pouvaient reculer car derrière eux, était le précipice et un seul pas en arrière les eût lancés sur rochers. Il fallait mourir ou conserver le siège qu' ils avaient conquis avec tant de constance de courage.
L imminence d'une mort affreuse, l'énergie du désespoir, leur donnèrent, sans des forces surhumaines, et malgré leur nombre, ils réussirent à s y maintenir. Ils purent même miner la tour, y mettre le feu, et l'écrouler, ce qui permit à d'autres assiégeants de venir les rejoindre. La première enceinte était prise mais la seconde pouvait s'avérer être une longue résistance.
Les soldats de Cadoc finirent par découvrir une fenêtre qui servait à éclairer une chapelle placée à l'un des coins de la seconde enceinte. Une nuit, sous la conduite de Bogis, intrépide varlet dont l'histoire a conservé le nom, ils se glissèrent de l autre côté du fossé et grimpèrent jusqu'au pied du rempart. Alors Bogis, s'élevant sur leurs épaules, parvint en se cramponnant, jusqu' à la fenêtre de la chapelle où il s'installa. De là il leur tendit une corde et bientôt soixante se trouvèrent réunis dans la chapelle. Ils en firent sauter les portes et se précipitèrent dans le château.
Le gouverneur les avait entendus et était accouru avec la garnison réduite alors à cent cinquante hommes. Bogis et ses compagnons auraient évidemment succombé sous le nombre, mais, tandis que les uns faisaient face au brave Boger de Lasci, les autres baissaient le pont levis et ouvraient ainsi passage à une troupe de nombreux assaillants. Le gouverneur ne perdit pas encore courage et se retira dans la troisième enceinte où était la citadelle, mais l'ardeur des chevaliers de France était surexcitée au plus haut degré par les avantages qu'ils avaient obtenus.
Tandis que les routiers sapaient une des murailles de la citadelle, une catapulte l'ébranlait par le biais d'énormes blocs de pierre. Enfin la muraille s'écroula, une large brèche s'ouvrit, les Français se précipitèrent dans les décombres et prirent la citadelle d'assaut le 12 mars 1204. Le terrain leur fut disputé pied pied par le gouverneur et ses hommes d'armes, qui aimèrent mieux se faire tuer plutôt que de se rendre. Le lendemain on trouva ces braves gens couchés dans la poussière, tous avaient été à la face et à la poitrine, grand sujet de louanges et d' honneur pour la chevalerie. Guillaume.
Le Breton, qui, par son évidente partialité pour Philippe Auguste, n'hésite pas à rendre à d'héroïques ennemis justice qui leur est due. La prise de Château Gaillard produisit une prodigieuse sensation en Normandie et en Angleterre. Aucune forteresse ne put espérer désormais résister à une armée qui avait vaincue des difficultés devant lesquelles auraient reculé des hommes moins persévérants.
Philippe Auguste aussi prit plus de confiance en lui même, dans sa fortune. Il se sentait d ailleurs encouragé par l'opinion publique. En effet, en vertu de la sentence des pairs, Philippe soumettant les provinces de Jean par les armes, paraissait bien moins un conquérant profitant des embarras d'un roi voisin qu'un vengeur armé par la justice pour prendre en main la cause des rois et de l' humanité, et ainsi punir un coupable. Jamais l' intérêt politique n'avait pu se couvrir d'un plus beau prétexte.
Images du château en 3D
La ville
Le château
«Histoire de la conquête de la Normandie
par Philippe Auguste en 1204 »
de Adolphe Poignant
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Les places fortes entourant l'Ile-de-France
Châteaux, château-fort, donjons
Le monde des châteaux
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